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24 - Rugby total (18 septembre 2017)

Chers amis des Quinconces je peux vous dire que j’ai bien fait de venir prendre l’air quelques temps à Auckland. C’est ici pour le début du Super 18 que je suis tombé l'an dernier et que j’en repartirai. Comblé ? Plus que cela chargé d’informations trouvées au hasard des rencontres. Tout est de ma faute, je sais mais je n’ose le penser tellement ce que j’ai vu au rugby est beau et irréel dans sa difficulté pour le réaliser.


Merci Richard d’abord pour l’article de ce matin dans ton journal. En plus d’être devenu joueurs et complices à Treignac, j’admire la manière dont tu fais ton métier (et ce n'est pas d'aujourd'hui). Dans ses vieux jours un forgeron passe au tableau pour donner des tuyaux aux jeunes éphèbes du marteau. Tu n’aurais pas envie d’instiller un peu de la rigueur de ton métier à tes jeunes collègues qui ne nous apprennent rien ?

Les considérations technico-tactiques que les experts ont donné sont exactement dans la ligne de ce que je pense mais je dois ajouter que tout cela est orchestré. Une volonté de progrès, un plan de jeu, une préparation adaptée et…, l’adhésion des joueurs à la volonté de Hansen et de son staff. Leurs exigences sont c.o.l.o.s.s.a.l.e.s dans leur simplicité. C’est compliqué de faire simple, tout le travail est là !

J’avais préparé hier soir, sur le papier (je ne suis pas toujours au clavier), mes sentiments de spectateur aux premiers rangs des tribunes, sur la partie de samedi entre les All Blacks et les Sud-Africains. Sur ces derniers je n’avais des références qu’après leurs résultats face à la France dont je n’ai vu aucun match depuis la finale de Championnat gagné par Clermont. Je suis seulement nourri des commentaires des copains de Côté Ouvert.

Le "Four Nations" est vraiment très spécial, car c’est la guerre entre au moins trois Nations, kiwis, aussies et springboks. Un journaliste local a glissé la semaine dernière que les voyages incessants épuisaient les argentins aussi bien les "Pumas" que les "Jaguares" qui sont souvent les mêmes. Toujours entre eux, loin de leurs bases, ils en perdent leurs repères et n’arrivent plus à les récupérer. Malgré les efforts de Creevy, phénoménal bonhomme ils n’y arrivent pas. Peut-être pas faux. Daniel Hourcade arrive-t-il aux limites?

Rugby total donc samedi soir au QBE Stadium d'Albany (30081 spectateurs) et pas seulement sur le terrain. Auckland n’est pas la Nouvelle Zélande. Grande ville alors que le néozélandais est de la campagne. Gens pas facile d’accès sauf avec ceux qui ont voyagé, double culture souvent comme dans tous les pays. L’ouverture c’est le métissage. Les gens les plus charmants que j’ai connu ici et que j’emporterai dans mon cœur, même que je ne serai plus qu’esprit, sont des métis de maori ou viennent d’un autre pays.

Les All Blacks, sont le seul ciment de ce pays. Et jour de match pas question de pas être au stadium ou devant sa télévision. Bien sûr quelques désistements pas de ciment sans de vifs craquements. Ils en sont arrogants, franchement condescendants (sauf avec les français). Le « peuple de soutien » n’était pas content de la tournure du Lions Tour, ne pas gagner c’est un échec et là contre l’envahisseur. La vie paraît cool mais ne l'est pas vraiment. Les communautés jouent malgré tous les efforts du gouvernement à fleuret moucheté. Si vous ne savez pas ce qu'est l'indifférence anglaise, venez et vous comprendrez. 


L'esprit Maori règne sur tout le pays, il est partout, c'est leur pays, prenant et contesté  à la fois. Compliqué de comprendre cela mais personnellement je considère que pour le rugby c'est une grande chance. Pas du folklore, la vie (Rugby Land , j'ai compris), une épreuve et pour être élu dans cet esprit il faut le mériter. Le mérite nous y voilà, sel de la République aussi.

Depuis des matches peu accomplis, la pression sociale s’est mise à flamber. Les critiques vis-à-vis de Hansen sont tombées, feutrées, en aparté. Le Monsieur a des résultats et cela se respecte très bas. Discipline jugulaire que l’on ne connaît pas (la critique est aisée mais l'art est difficile), il faut aller dans les bureaux bien fermés pour en entendre parler. Sa succession est déjà ouverte pour 2019. Les listes sont en place sur trois noms mais Vern Cotter est observé de près, la mue des Ecossais a surpris agréablement, d’autant que la colonie d’origine est nombreuse dans tout ce beau pays.

La mort de Sir Colin Meads a rassemblé tout le monde du rugby et les informations sont passées. Le coup dur, le contact, rien de tel pour reformer un groupe. Hansen est a la fois placide et d’une extrême exigence avec ses joueurs et cela est retransmis dans toutes les strates des clubs. Son projet est décliné à chaque niveau de jeu. Ses porte-paroles, il les briefe en stage et ils vont évangéliser les plus lointains villages.

J’ai déjà écrit qu’à mon humble avis, il avait perdu à lui seul par son coaching la tournée des Lions. Un détail, mais dans la guerre pour un Général, c’est écart est vital. Rotation des joueurs et temps de jeu. Son coaching tactique a été défaillant.

Samedi rien de tout cela, deux semaines d’entraînement en exigence totale et les joueurs sont au top pour jouer ensemble la partition choisie dans le répertoire sans arrêt enrichi.

Evidemment tout le monde est derrière son équipe, grimé, pavoisé mais pas de courtoisie pour les supporters Sud-Afs, parfois moqués, voire asticotés. Pas sympa de voir ces escarmouches à plusieurs endroits. Les supporters AB sont parfois puants.

Auckland, mais pas que (on vient de partout même de Nouvelle Calédonie), était joyeuse avant le match et pendant ce fut carrément la fête. Seul stade où l’on a senti la joie du public, vibrer à l’unisson de son équipe. Dunedin et New Plymouth sont plus froides. Les gens étaient en fête, une occasion de la faire et de déborder, un streaker même comme dans les matches anglais, difficile à maîtriser, marrant, pas montré à la télé…Pudibonderie conne, passons, j’aime bien ces moments, folie des britanniques !

En détail, qu’avons-nous vu que l’on ne savait déjà ? Le résultat d’un travail de forçats, mine de rien, les ancêtres de beaucoup dans ces régions.

Ce que je veux dire aux experts c’est que tout est volontaire dans ce que font les All Blacks. Leur éducation aux fondamentaux est incontournable. Le combat, le soutien, la solidarité…personne ne transige, sinon il n’existe pas. Sous pression ils jouent encore comme à l'entraînement toujours basé sur des situations de jeu.


L’autre point fondamental, c’est la remise en question : SBW n’a pas fait de faute de mains ou de mauvais choix cette fois, mais il a dû en entendre parler pour se remettre au niveau où il est attendu. A côté de lui des joueurs piaffent. Au moins trois ou quatre sans compter les plus jeunes champions de 17 ans…Concurrence féroce.

La dope ? La flexibilité de l’éducation mélangée à cette extrême rigueur du système de sélection du rugby néozélandais. Les types qui sont là sont des monstres de talent et de travail, de foi en soi. C’est le métier, le minimum vital pour exister. Du travail il y a en a pour tous, cela dépend de ce que l’on veut faire. Celui qui veut être All Black doit montrer et faire plus pour se distinguer. Ce plus n'a pas de limite. Choix personnel d’être un monstre et d’accepter de se fondre dans un collectif imaginé par d’autres. Flexibilité, plier sans jamais rompre, comprendre une intention et se trouver au bon moment au bon endroit pour l’exécuter : la compétence.

Tu ne peux être musicien sans faire des gammes avec ton instrument. Ce peut-être chiant sauf si tu comprends très tôt que c’est un jeu, que tu aimes ce jeu. Ces automatismes te permettront d’interpréter une partition au lieu de répéter une suite de notes lues sur une portée. A l’entraînement ils font collectivement et individuellement de l’endurance mentale et de la vision du jeu.

Hansen mise sur la vitesse (depuis longtemps), tout est décliné à cet effet par l'ensemble de son staff. Les préparateurs physiques doivent livrer des joueurs en forme et disponibles à chaque match, c’est leur responsabilité (témoignage circonstancié de Raphaël Lagarde, "sport scientist" des Hurricanes ) .

Cet effort collectif demandé par Hansen a un but, moins de fatigue pour l’ensemble des joueurs. Un plaque, l’autre se met en place pour récupérer la balle les autres se replacent à une cadence folle pour tenir la baraque. Tension pour les adversaires qui ont presque chaque fois un temps de retard.

La vitesse de dégagement au sol est extraordinaire, pour ne pas encombrer le plan de travail des copains au soutien plus que pour éviter la faute. A ce sujet sur ce match merveilleux travail de prévention, de communication, réprimande et félicitations de Nigel Owens. Match impérial de sa part.

Puisque l’on en est à la communication entre les joueurs elle est permanente. Ils sont tout le temps en train de se parler. Cela commence dès le collège, consigne d’apprentissage, chez les filles comme les garçons, au même titre que la solidarité, la complémentarité, le soutien, l’encouragement... Très important cet élément, Ryan Crotty qui fait le déplacement pour remercier ses avants qui ont gagné une mêlée ou un regroupement important. Le travail de rassembleur de Captain Read est incroyable de vérité. Des détails…qui comptent, fruit d’une volonté, d’un plan de jeu détaillé, admis et appliqué.

Plan de jeu étudié répété dans la semaine de préparation. Des options s’offrent alors pour créer en fonction de l’adversaire. Capacité à donner des idées au coach et au capitaine au moment de la mise en place. Les joueurs sont sans arrêt sollicités pour étudier, se perfectionner sur tous les plans du jeu. Ils ne sont sûrs de rien. Aucun poste privilégié. Un seul peut-être, Read, pour son intelligence à faire l’unanimité, rassembler faire vivre l’équipe, réconforter, accompagner... Une conscience superbe à voir travailler, surtout quand cela ne va pas comme il voudrait, quand le plan de jeu n'est pas appliqué ensemble.


Les Sud-Afs (comme prévu) n’ont pas été pris par-dessus la jambe. Des accrochages ont eu lieu individuellement tout le match. A l’entame ils sont au niveau. Prêt au combat. Chez les AB, nouveau pilier Hames petit format, calages nécessaires pour Coles qui se fait engueuler par Owens. Ils discutent, Coles se règle et Hames aussi. Mais Hansen sent que la mêlée ne va pas. 

Malgré son bon début de match Squire est assommé à l’épaule (maladie des Sud-Afs , peu sifflée). Ce n’est pas Ardie Savea qui entre mais Scotty Barrett. Super rééquilibrage, match terminé dès lors que les Springboks ont souffert. Plus de domination en mêlée match plié. Qui a dit que les équipes de l'hémisphère sud ne s'occupaient pas de la mêlée? Bataille dure à chaque match mais dans les règles ...acceptées par l'arbitre.

30 minutes pour être asphyxié : intenable de jouer en sur-vitesse. L’intensité donne la puissance, en physique de l’électricité, P(uissance)=U (tension)x I(ntensité). C’est tout à fait le cas ici. Quand les AB sont à 100 ampères les autres sont en dessous. Pour y monter ça peut le faire, pour y rester trop compliqué. Manque de tout : talent personnel, habitudes de travail, choix du plan de jeu, implication individuelle et collective, préparation mentale, éducation, intelligence….

Montée rapide (très rapide, jamais vu ça personnellement) des All Blacks en défense, les springboks incapable de se lancer, de pénétrer, des passes en catastrophe jusqu’à l’interception de Millner-Skudder. Génial stratagème.

Connivence d’équipiers habituels. Selon Raphaël Lagarde : « Bauden Barrett court mal mais c’est le plus rapide de tous les joueurs ». Vu plusieurs fois en 9 matches que j’ai suivi en sa présence. Mais aussi démonstration de connivence sur cette interception. Pour rappel les essais marqués par Bauden Barrett avec Laumape au centre, puis ici avec son ailier Millner-Skuddder des Hurricanes…

Compétence des joueurs qui permet à Hansen l’interchangeabilité. Les types arrivent au niveau attendu, pas de round d'observation. Qui dans les derniers matches n’a pas fait son boulot des nouveaux capés ? Aucun n’a déçu depuis l’arrivée de Rieko Ioane à l’aile…. Celui-là plus fin en corpulence et en intelligence que Jonah Lomu. L’intelligence de jeu, c’est d’abord l’intelligence. Les joueurs captent rapidement et savent se remettre en cause. Les plans de jeu sont compris et appliqués.

Quand ils se loupent sur les fondamentaux de leurs quotidien,  c'est aussi la catastrophe mais on ne peut en juger qu’entre eux, en Championnat National avec des bourdes pour des raisons financières sans doute. Dans le programme de Mitre 10 Cup, je vois le Canterbury jouer jeudi puis dimanche à Wellington contre les Lions. Le premier de D1 contre le premier de D2 qui est postulant à la montée. Wellington a gagné 60-14, plan de jeu défectueux, pas d’envie de jouer…Faut pas jouer avec le calendrier !

Confiance et prise de risques dans les passes (à plat). Ils tentent et envoient des boulets, étonnant leur adresse pour les attraper et surtout difficile à intercepter. Une erreur n’est jamais grave. Regardez l’attitude des copains quand un mec se loupe, ils vont le chercher, lui dire que ce sera mieux ensuite, qu’il peut compter sur eux pour l’aider…Routine?  Non attitude nécessaire à l’équilibre de l’équipe. Cette dernière est plus forte que chacun, même Read le sait.

Vous pouvez parler de dopage, sachez qu’il est là dans le travail et tous ces détails. Je vous dis par ailleurs que rien n’est rose dans tout ça, mais rouge de la couleur du sang et des larmes qu’ils ont du verser et verseront encore. Car Hansen à de la réserve à chaque poste, les types de 30 ans savent déjà qui va les remplacer.

Si vous n’avez jamais été cadre supérieur vous ne savez pas ce qu’est d’être sur la sellette, le siège éjectable. Beaucoup de gens voudraient y être mais cela fait partie des compétences pour postuler de pouvoir résister mentalement à la concurrence. Savoir où l’on en est à chaque match, chaque saison pour assurer son avenir et payer ses factures. Bien moins simple de rentrer au panel des privilégiés qu'il n'y paraît chez les AB. Kees Meeuws l’a superbement glissé dans la fin de son bouquin. Un All Black n’est tranquille que quand il a fini sa carrière, il peut alors respirer.

Pour la France quoi faire ? Eduquer, le talent je crois qu’on l’a. Les jeunes le montrent par leurs résultats. Une vision, de la patience. Que les experts se mobilisent franchement en mettant un mouchoir sur leur ego, qu'ils coopèrent, ouvrent leur savoir aux clubs de leur région. Qu’au lieu de critiquer et de faire consultant télé, les anciens joueurs  aillent dans les clubs, chercher des jeunes pour les remplacer. Ils ont des choses à rendre au rugby qui les a formés.

C’est en cela que les AB sont très forts, ils jouent pour leur avenir pour que des petits viennent jouer pour que quand ils seront dans leur fauteuil au stade le jeu pratiqué soit encore gagnant. Les joueurs de rugby AB investissent tout le temps pour s’améliorer, même dans les petits clubs. C’est là que je peux parler d’amour du jeu de ces mecs-là. S’ils n’avaient pas l’amour pour ce jeu, ils ne pourraient pas résister à la dureté de l’Everest qu’ils ont à grimper pour porter la fougère qui couvre ce pays. Et le premier qui l’a fait est des leurs, le plus célèbre du pays : Sir Edmund Hillary.

A nous en France de trouver un chemin qui nous ressemble vraiment. Les handballeurs l’ont fait, les footeux aussi même s’ils font des choses avec l’argent que l’on n’aime pas. Les joueurs ne sont pas responsables, le marché est comme il est. Cela ne sert à rien de juger, se retrancher et ...trop facile de ne rien faire.

Pour le rugby on peut alors espérer, les premiers résultats Top 14 de cette année montrent une évolution, soyons patients nous sommes en transition. Ce serait bien que dans les villages on intéresse un peu plus les maîtres des écoles, ce jeu est tellement épatant pour éduquer les enfants.



Michel Prieu

Blog voyage : nouvellezelandeleretour.blogspot.com



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