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21 - Une semaine All Black (27 Août 2017)

Dunedin est une ville particulière en Nouvelle Zélande. On vous en parlera par ailleurs. Deux établissements dominent dans l’architecture vus de la colline de Saint Clair, le monumental magasin de Mitre 10 et le Stade Forsyth Barr.

Il a été construit pour le Championnat du monde de 2011 et est maintenant utilisé pour le Super Rugby par l’équipe des Highlanders. Stade fermé , agréable pour le spectateur et pour les joueurs.

La semaine dernière les AB ont ouvert la saison avec une fessée à laquelle ne s’attendait pas Michael Hooper et son équipe nationale australienne. Les AB ont récité pendant 50 minutes un rugby d’ailleurs, comme on aimerait en voir souvent. Un rugby de mouvement…

Mais un match ne ressemble jamais à un autre surtout entre anglo-saxons. J’admire leur capacité à se remettre en cause, à s’adapter pour garder la tête haute. Ils sont conquérants, le savent voire le revendiquent. Ils sont aussi compétents, ils s’en donnent les moyens.

Le matin j’ai fait un petit tour à l’Université d’Otago, lieu privilégié de savoir et justement de compétences. Elle a un intérêt particulier pour la vie néozélandaise, c’est la première qui est née dans ce pays. J’aime toujours me promener dans les rues de savoir, je pense que l’éducation est l’avenir de la femme et de l’homme, à égalité. L’université est en pleine ville, le campus des étudiants aussi. Une merveille de compacité de quoi penser que demain des médecins pourront étudier des sujets de santé avec des biologistes, des psychiatres voire des ingénieurs parce qu’ils auront fait du sport ensemble à l’université. Ils sauront se parler même si leurs disciplines sont cloisonnées.

Se parler, Dunedin est une petite ville, autour de 125000 habitants dont 20000 étudiants. Tout y est à taille humaine facile d’y vivre, beaucoup d’activités sportives et culturelles. Sa caractéristique particulière beaucoup d’innovations sont parties de Dunedin.

Qui dit innovation à mon sens dit profession et professionnalisme. Celui qui m’intéresse ici est celui du rugby et des All Blacks en particulier. Une semaine AB à Otago c’est quoi, alors que Sir Colin Meads vient de passer la main ? C’est d’abord mercredi s’occuper des écoles.

Une partie des joueurs sont allés s’occuper d’une centaine de jeunes joueurs d’une école primaire. D’autres ont animé un camp, toujours de jeunes, toujours moins de 13 ans mais celui-là payant (40 DNZ la journée). Compétence, gouvernement et financement privé.


N’oublions pas que la marque AB est une marque de rassemblement voulue par le monde politique et qu’elle doit être rentabilisée. Avec les anglo-saxons « business is business ». On peut ne pas aimer mais certains rêves se paient. Les jeunes qui seront passés par cette journée viendront plus facilement jouer au rugby. En tout cas ils auront un souvenir impérissable, à leur âge de quoi les structurer.

Jeudi, entraînement fermé. Personne pour suivre ce que veut Hansen. Il se sert des conférences de presse pour annoncer la couleur. Il ne veut pas revoir les mêmes erreurs qu’en deuxième mi-temps du dernier match et comme le ballon ne sera pas mouillé il veut de la vitesse dans le jeu.. En hommage à Sir Colin Meads les joueurs savent déjà qu’ils n’ont pas le droit de perdre.

Nous voyons aussi dans les journaux que Kieran Read, (omniprésent un capitaine All Black, rang de premier ministre) s'exprimer chaque jour. Ce jeune homme est très apprécié par ses actes sur le terrain, mais aussi dans la vie. Formé à Christchurch et au Crusaders, une lignée de seigneurs, Carter, Mc Caw pour les plus récents, excusez du peu. Il a une capacité qui fait l’unanimité à rassembler. Il la joue profil bas, pas de circonstance, l’humilité de ses grands joueurs est une vérité. Un comportement, une attitude mentale née d’un travail dur et d’une concurrence féroce.


Michael Cheika de son côté a préparé ses troupes à Christchurch pour ne pas perturber la petite ville de Dunedin. La ville n’en fait pas trop, bien sûr les magasins sont de couleur : noir et blanc. Le drapeau noir à la fougère argentée flotte sur les jambes des lampadaires. La place Moray, The Octogon s’habille pour le début et la fin de soirée.

Les gens sont flattés de recevoir un match des All Blacks, un plaisir discret, presque réservé mais enjoué. Au restaurant le Bacchus (peut pas s’inventer, belle table , grand chefs, une dame pour le lunch et  un monsieur pour le soir) où nous étions lundi , le chef de rang Etephen nous en a parlé longuement.

Nos hôtes aussi ont apprécié, dans les magasins on nous a conseillé de bien se couvrir et de « profiter » le « enjoy » d’ici. Cette modestie n’empêche pas la fierté et d’un côté cela me ravit.


Vendredi pas de repos pour les forçats du jeu que l’on chérit. « Captain run », sans invités. Puis retour aux affaires, pas le tout d’être professionnel, prendre de l’argent en faisant le métier pour lequel on a trimé pour se démarquer. Il faut représenter les marques et les sponsors. Il faut par la même occasion renforcer l’image des All Blacks, chez ANZ cette fois. Il faut payer pour y aller ou être invité.

Comme par hasard, une grande réunion politique sur la région avait lieu à Dunedin ce même jour. Les politiques vont rester pour le match demain. Pour réserver un restaurant pour vendredi et samedi c’est fini, le weekend est complet depuis bien longtemps.

Samedi jour de match. La ville est noire et blanche avec un peu jaune et verte seulement. Quelques supporters prennent leur breakfast en attendant d’aller promener dans le quartier. Les écharpes ou les bonnets de la coupe du monde 2015 sont sortis pour les gens de Dunedin. On en trouve à l’Université d’Otago, des étudiants font visiter leurs parents ou grand-parents, en ville de tous les côtés. Comme on est en noir, un grand bonjour et « enjoy » qui sert de passeport. Un calme une joie exprimée par un sourire et le brillant des yeux.


Vers 15 heures des frimousses se sont fardées, certains sont déguisés. Vers 17 heures on est parti en ville pour prendre la température. On sait que dans les paris 70% donnent les Blacks gagnants. A dire vrai, je m’attends à un match serré car je crois les Australiens capables de s’adapter. Ils l’ont déjà montré. Dans le journal (Otago Daily Times) il est écrit ce matin qu’ils se sont reconstruits dans la semaine.

Remarque aussi que sur la une du journal, c’est une gamine de 15 ans, troisième ligne des filles de son collège qui montre la Bledisloe Cup. Née ici, même si elle vit en Australie, son cœur est noir et blanc. Les racines, c’est sacré et on n’oublie jamais la couleur de son premier maillot. Un journal qui dans la semaine n’en a pas fait des tonnes sur le match passé ni sur l’avenir. Des attentes pour une belle rencontre et la gagne en deux manches pour la Bledisloe Cup.

Sympa d’avoir vu dans les rues toute la journée des groupes de supporters australiens, faciles à reconnaître cornaqués par un couple ou un monsieur aux couleurs des All Blacks. Même remarque au bar avant d’entrer au stade. Parmi les convives de la place Moray, un groupe de jeunes français qui font le tour du monde. Moment d’écoute attentive pour les entendre dire qu’ils sont heureux d’avoir décidé d’aller voir ailleurs avant de rentrer en France pour travailler. "Les voyages forment la jeunesse" trop de gens en sont restés à la maxime et ne sont jamais allés plus loin sue le bout de leur nez. Cela ne les empêche pas de donner des leçons. Ces jeunes gens ont vu ce que c’était c’est ailleurs que l’on croit meilleur, ses difficultés, ses peurs que l’on se pourrit la vie à vouloir rêver au lieu d’y travailler. Le rugby du monde porte des valeurs que rugby de France a laissé tomber et son rugby en meurt.

Messieurs les joueurs de Championship à vous de jouer. C’est l’heure, les 30000 places du Stadium seront occupées. Agréable mais mal assis après quelques minutes. Particularité non précisée sur les billets aucune caméra, aucun appareil photo autorisé. Une incongruité des sponsors, pas moyen de négocier, il a fallu s’adapter. Ils n’ont pas été jusqu’à faire déposer les smartphones.

Mal placé derrière la ligne de but mais chance, face à la tribune de Skysport. Juste au-dessus du podium des commentateurs professionnels, il n’y a qu’à les voir se préparer : Jeff Wilson, Scott Robertson, Andrew Merthens, John Kirwan. Bonjour les analystes ! Ils ne parlent que de ce qu’ils connaissent et voient. Pas d’envolées lyriques du travail de professionnel.


Echauffement sur le terrain pendant que le stade se remplit, frittes (française plus des français pas loin et pas discrets), bières et saucisses de sortie comme de tradition ici. Le stade est noir de monde et une tache de jaune en tribune de face.

Un long reportage vidéo sur Sir Colin Meads, après une longue émission spéciale passée à la télévision nationale. Paysan solide et symbole assumé de la Nouvelle Zélande, dur au mal, intègre contre vents et marées. Un homme un peu rustre dans lequel se reconnaissent beaucoup de gens d’ici.

Bronca d’entrée pour les joueurs Australiens mais ovation pour celles des All Blacks. Le stade est clairement orienté c’est dit, cela va le rester. Le fair play des néozélandais, pas dans la tasse de thé mais pas non plus dans le bock de bière.


Professionnalisme aussi dans la cérémonie d’ouverture. Les drapeaux portés par des militaires en tenue. Les bannières au sol posées par des enfants qui sont tous habillés du maillot noir floqué du N°5. Entrée toujours respectée des Maoris, l’autre langue du pays. Minute de silence pour Sir Colin Meads 


Pendant les hymnes sur écran géant les paroles du chant et traduction en langue des signes, troisième langue officielle.

Je ne vais pas raconter le match, mais scénario parfait pour un beau match que comme dit Richard Escot : « Sir Colin aurait aimé ». Gros match en vérité qui montre que le haut niveau est serré. A peine une équipe baisse de pied qu’elle se fait renverser.


Clairement les AB se sont pris les pieds dans le tapis, mais les Australiens avaient mis un lion dans le moteur, trouvé le bon rythme et l’accélérateur pour avancer, perforer, performer. Peut-être pour cette raison que Bernard Foley a raté ses coups de pied. Pour le reste accélération et surtout lecture de défense adaptée. 17 points en 17 minutes comme la semaine dernière mais à l’inverse.


Pas de rythme continue cependant, dans le stade un Nigel Owens qui met du temps à prendre des décisions. Et que font les All Blacks pendant ce temps. Captain Read met de l’ordre dans la maison. Par touches successives les AB remettent à redresser leur jeu. Des gars ne sont pas dans le coup, SBW en particulier. Le pack met la pression et les AB reviennent. 5 essais en première mi-temps, rugby de décisions et de mouvement. Aaron Smith et Bauden Barrett (2 fois) à la conclusion pour exemple

La seconde mi-temps scénario équilibré, on se bat, on rend coup pour coup. L’Australie fait mieux que se défendre, elle agresse. Mais les AB ne desserrent pas l’étau. Point d’orgue le dernier essai. Impératif de gagner le ballon pour pouvoir gagner et qui le fait ? Captain Read ensuite les autres font le métier cette volonté de déplacer le ballon, de s’épauler et pour terminer Barrett. Au passage il a montré ce qu’est de jouer au pied : mettre la balle où il n’y a personne et Folau n’est pas un Mickey.

Le stade a explosé mais les australiens ont de quoi sortir la tête haute, c’est ce qu’ils ont fait rassurés, les joueurs ont assumé. Belle soirée de rugby.

Pas terminée rentrer à pied à The Octogon et discuter avec des jeunes et des vieux contents eux aussi d’avoir vu leur équipe gagner. Des jeunes néozélandais curieux de trouver des français, presque épatés de se voir gentiment apostropher. Au final, ravis de pouvoir échanger les impressions de match,  de mesurer ce qui les intéresse dans leur ville.

Pour rentrer au café sous la tente payer 5 DNZ pour les étudiants de l’Université. Une bière en musique avec plein de gens enjoués, australiens mêlés. Vous parlez d’une soirée dans la ville de rugby la plus éloignée de Londres, 19000 km.


Professionnalisme aussi, à la mi-temps, rappel appuyé pour ne pas laisser tomber les Black Ferns qui joueront demain matin la finale de la Coupe du Monde que les « filles » françaises une fois de plus ont raté. Dans ce sport nous sommes clairement des amateurs assez peu éclairés. Les Anglaises vont représenter l’Europe du rugby avec leurs qualités : puissance et sérieux.

Pendant ce temps, les joueurs un à un répondent aux questions des journalistes pour l'ensemble de la presse (en fonction de leurs notes accordées et des awards gagnés). Nous pouvons les voir sur tous les écrans de la rue. Ils font l'analyse de leur match, souvent sans langue de bois, surtout après un match comme celui que nous venons de voir.

Nous avons passé une belle soirée sportive , avec beaucoup de convivialité; des valeurs faciles à retrouver si nos joueurs veulent jouer au rugby au lieu de penser  travailler.


Michel Prieu


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